Demandes particulières de la distribution / analyses Listeria et Salmonelles sur saucisserie de porc et produits crus à cuire
Question d’un industriel de la charcuterie
» Les demandes particulières de la distribution ou les laboratoires d’analyses poussent à ce que nous fassions des analyses Listeria sur des produits crus fumés à cuire et des analyses Salmonelles sur produits de porcs crus et de saucisserie pur porc à cuire.
A notre connaissance, la règlementation n’impose pas ces analyses, ce qui parait évident compte tenu de la contamination
des matières premières vis à vis de ces pathogènes. La notion de mésusage ne peut pas justifier de faire faire des analyses microbiologiques coûteuses uniquement pour confirmer les dangers du mésusage.
Serons-nous responsables demain de la contamination bactériologique naturelle des viandes crues ? Autant arrêter le métier tout de suite… Pouvez-vous nous éclairer sur cette question svp ? «
Réponse de l’expert du Pôle Viandes et Charcuteries de l’IFIP, Etienne Pierron, vétérinaire hygiéniste, spécialiste des produits transformés
» En préambule, il faut rappeler que les critères microbiologiques liés aux demandes particulières de la distribution n’ont aucune valeur réglementaire. Ils peuvent toutefois servir de base de réflexion dans le cadre contraint de la construction de cahiers des charges, pour la fourniture de produits à marque distributeur. Ces critères sont pour un grand nombre d’entre eux dénués de valeur scientifique et ont été imposés par la grande distribution et ses conseillers pour combler un vide supposé, laissé en 2006, par l’abrogation de l’arrêté ministériel du 21 décembre 1979 sur les critères microbiologiques des aliments. Ce vide était imaginaire de mon point de vue, dans la mesure où le règlement CE n°2073/2005 était déjà en vigueur et que ce texte est d’une part, suffisant et d’autre part, remarquablement bien écrit.
Il convient de bien distinguer 3 contextes :
1 – Les viandes piécées de porc crues
Le règlement CE n°2073/2005 n’a pas prévu de critère Listeria monocytogenes ou Salmonella sur les viandes de porc à cuire. Cela s’explique par les pratiques de cuisson usuelles de la viande de porc. A la différence de la viande bovine qui peut se consommer hachée et saignante voire crue en tartare, la viande de porc se consomme bien cuite voire très cuite. Cela fait partie des pratiques usuelles et normales du consommateur. C’est le sens du terme « utilisation attendue » définie dans les textes.
En revanche, il existe un critère Salmonella sur les carcasses de porc : c’est un critère d’hygiène des procédés dont l’objectif est le suivi du niveau d’hygiène à l’abattage. Sur les 50 derniers prélèvements de surface réalisés sur carcasse, on ne tolère pas plus de 3 positifs en Salmonella. Au-delà, on considère que l’hygiène de l’abattage a dérivé et doit être améliorée. En pratique cela correspond à peu près à un niveau de contamination global de 6% que l’on considère comme normal compte tenu du niveau de contamination en Salmonella actuel des porcs au niveau de l’élevage.
La version 2024 des critères de la grande distribution prévoit un critère Salmonella Non Détecté dans 10g pour les viandes piécées de porc. Bien que cela ne soit pas clairement précisé dans le document, ce critère doit être vu comme un critère d’hygiène des procédés destiné à l’évaluation des fournisseurs de carcasses de porc. Si on a accès aux carcasses, il est préférable de faire ce contrôle de surface directement sur carcasse, en se conformant aux directives d’échantillonnage et d’interprétation du règlement CE n°2073/2005 ou du guide Ifip sur les critères harmonisés.
Ce travail ressort des obligations de l’abattoir dans le cadre de son PMS mais aussi des obligations de déclaration de la prévalence des salmonelles à la DGAL. Il s’impose aussi aux découpeurs et transformateurs dans le contexte de la surveillance et du suivi des appros lors de la production de produits crus à consommer en l’état.
S’il est interprété comme un critère de validation d’une pièce de découpe de porc, ce critère n’a pas de sens sanitaire sauf dans le cas d’une consommation crue, ce qui n’arrive jamais avec un consommateur raisonnable. La viande de porc ne se consomme pas saignante pour des raisons organoleptiques.
2 – La saucisserie crue de porc
Les saucisses crues de porc du type chipolata ou saucisse de Toulouse sont considérées comme des produits à base de viande si elles contiennent au moins 50% de porc et si elles sont salées au moins à 15g par kg. En effet, ce niveau de salage permet de constater systématiquement la disparition des caractéristiques à cœur de la viande fraiche (étude CTSCCV). Il faut donc bien les distinguer des viandes hachées et des préparations de viandes.
Le règlement CE n°2073/2005 ne prévoit pas de critère de sécurité concernant Salmonella pour les produits à base de viande à cuire. En revanche, il en prévoit un pour les préparations de viandes : Salmonella non détecté dans 10 g.
Ceci est cohérent dans la mesure où l’analyse des risques concernant la présence de Salmonella dans la saucisserie crue de porc met en avant que :
- Ce sont des produits crus dans lesquels la flore microbienne sauvage crée une compétition qui constitue un frein à la prolifération des Salmonella.
- Ce sont des produits qui se conservent en dessous de 4°C température inférieure à la température limite de développement des Salmonella
- Elles sont faites avec du porc, viande qui se consomme bien cuite pour des raisons organoleptiques à la différence de la viande de bœuf
- D’après l’ANSES, le D70 de Salmonella est inférieur à 1 minute, autrement dit une cuisson de quelques minutes à plus de 70°C à cœur est toujours assainissant vis à vis du danger Salmonella
Bien que cela ne soit pas exprimé très clairement, la version 2024 des critères de la grande distribution prévoit un critère Salmonella Non Détecté dans 10g uniquement pour les préparations de viande ou les saucisses crues de volaille. Les produits dont nous parlons ne sont pas des préparations de viandes, à moins d’être très réduites en sel (moins de 15g/kg à la mise en œuvre).
C’est donc la confusion entre produit à base de viande et préparations de viandes qui incite votre laboratoire à laisser croire que des saucisses crues à cuire de type chipolatas ou saucisse de Toulouse devraient être suivies sur ce critère en routine.
La production de viande de porc en France est globalement contaminée autour de 5% en Salmonella (Cf Rapport annuel Ifip), il n’est donc pas surprenant d’en trouver de temps en temps dans des produits hachés à base de porc crus. L’IFIP considère que le niveau normal de contamination en Salmonella d’un producteur de chipolatas qui travaille correctement se situe autour de 2%. La détection de Salmonella sur ce type de produit doit être regardée comme un indicateur d’hygiène des procédés et suivi dans le temps en termes de prévalence : si la prévalence de contamination augmente au-delà de 2%, il convient de remettre en cause le procédé et/ou la qualité des approvisionnements pour prendre les mesures correctives nécessaires à la mise sur le marché d’un produit présentant une contamination résiduelle plus faible. Si on réalise déjà un suivi sur carcasse, ce suivi sur produit fini n’est pas pertinent car il n’apporte pas d’information supplémentaire.
3 – Les produits crus fumés à cuire
Pour les produits crus fumés à cuire de type poitrine, lardons ou bacon, la situation est complexe.
• Si on considère que ces produits sont consommés après cuisson :
Le règlement CE n°2073/2005 ne prévoit aucun critère microbiologique de sécurité ni pour Listeria monocytogenes, ni pour Salmonella. L’analyse du législateur est toujours la même : La cuisson réalisée par le consommateur final garantit la sécurité sanitaire du produit.
En revanche, la version 2024 des critères de la grande distribution a prévu spécifiquement cette catégorie de produits : « Lardons, bacons crus à consommer après cuisson ». Pour cette catégorie, les demandes particulières de la distribution prévoient un critère Salmonella Non Détecté dans 10g et un critère Listeria monocytogenes <10/g en sortie production ou au moment de la réception par le distributeur.
Il est difficile de trouver une explication rationnelle et sanitaire à ces critères pour les produits vendus en libre-service.
Pour les produits vendus au rayon coupe et qui pourraient y être manipulés ou tranchés, on peut imaginer que ces critères sont destinés à limiter les contaminations croisées du rayon, compte tenu des manipulations nombreuses effectuées sur ce rayon.
• Si on considère que ces produits sont consommés sans cuisson en prenant en compte la possibilité d’un mésusage par le consommateur, ils deviennent des produits Prêts à Manger :
Pour les produits RTE ou Prêts à Manger (PAM), le règlement CE n°2073/2005 prévoit un critère Non-détection de Listeria monocytogenes dans 25g en sortie production et une limite de 100/g à ne pas dépasser pendant la mise en marché. On notera que ce critère n’est appliqué en France que dans les cas où le producteur est capable de démontrer sur dossier que le critère de 100/g ne sera pas dépassé pendant toute la durée de vie du produit.
En ce qui concerne Salmonella, le règlement CE n°2073/2005 prévoit également un critère Non détecté dans 25g pour les produits à base de viande destinés à être consommés crus (sans préciser s’il s’agit d’un mésusage).
La version 2024 des critères de la grande distribution a créé une catégorie spéciale pour ces produits :
« Bacons crus à consommer en l’état, lardons sans indication de cuisson ».
En créant cette catégorie, elle considère implicitement que l’absence d’une indication de cuisson est une incitation à consommer le produit en l’état et donc pousse le consommateur au mésusage.
Tout à fait logiquement, la grande distribution impose alors un critère Salmonella et un critère Listeria monocytogenes pour ces produits conformément aux exigences du règlement CE n°2073/2005 évoqués ci-dessus.
Ce faisant, la grande distribution néglige toutefois 2 aspects importants pour l’application de ces critères réglementaires dans ce type de produit soumis au mésusage :
- Le critère réglementaire Salmonella sur les produits à base de viande destinés à être consommés crus ne s’applique pas sur les « produits dont le procédé de fabrication ou la composition permettent de supprimer le risque salmonelles ».
- Les critères Listeria mono <10 /g à réception et <100/g pendant la durée de vie ne s’appliquent pas systématiquement mais sur validation d’un dossier présenté à la DDPP pour une catégorie de produit et de procédé homogène et bien défini
Tout à fait logiquement, et a contrario, on peut supposer que la grande distribution valide l’idée qu’une indication de cuisson est suffisante pour éviter le mésusage. Mais cela n’est pas cohérent avec l’ajout de critères de produits RTE sur des produits crus à cuire. Pour en être sûr, il faudrait questionner la grande distribution sur ce point.
Pour conclure,
on peut dire que cette insistance des laboratoires à vouloir faire appliquer les critères non réglementaires de la grande distribution
repose au moins sur 2 malentendus :
1 – la notion de mésusage qui étant mal définie par la DGAL conduit à détourner l’esprit du règlement 178/2002 dans son considérant n°16 : « Les mesures régissant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux adoptées par les États membres et la Communauté doivent généralement reposer sur une analyse des risques, sauf si les circonstances ou la nature des mesures rendent ce recours inutile. Le recours à une analyse des risques avant l’adoption de ces mesures doit faciliter la prévention des entraves injustifiées à la libre circulation des denrées alimentaires. »
Le mésusage tel que compris actuellement conduit à utiliser des critères microbiologiques prévus pour des produits cuits pour évaluer des produits crus à cuire, ce qui n’a pas de sens si on fait une analyse de risque raisonnée.
2 – l’idée largement répandue et malgré tout fausse que ce sont les analyses microbiologiques qui apportent la sécurité des aliments. En fait, les analyses microbiologiques sont parfois utiles mais moins que la maitrise des procédés, l’application des BPH en fabrication et l’information des consommateurs qui sont les meilleurs garant d’une sécurité sanitaire renforcée pour nos produits.
J’insiste activement depuis de nombreux mois, pour que la notion de mésusage soit mieux encadrée par la DGAL et en particulier pour qu’un étiquetage précisant la nécessité d’une cuisson à cœur ou en surface selon les produits soit suffisante pour négliger les pratiques anormales du consommateur dans l’analyse des risques. Une révision de la note de service DGAL/SDSSA/2023-27 sur les produits Prêts à Manger a été annoncée par la DGAL en mars 2024 mais elle n’a pas encore vu le jour. La note de service DGAL/SDSSA2024-81 qui a modifié le guide d’aide à la gestion des alertes d’origine alimentaire en février dernier a toutefois apporté une petite précision sur le mésusage :
« Le risque de mésusage correspond au risque pour une denrée d’être consommée, malgré les indications données, en l’état ou insuffisamment cuite par le consommateur, de sorte les micro-organismes dangereux que cette denrée est susceptible de contenir ne sont pas éliminés ou réduits à un niveau acceptable. Ce risque est considéré comme identifié lorsqu’il s’agit d’une pratique usuelle. »
L’IFIP ne connait malheureusement pas de fournisseur de viande en Europe, ou ailleurs dans le monde, qui soit capable de garantir un approvisionnement Salmonella ou Listeria Free à moins de travailler avec de la viande précuite ou traitée par ionisation. Pour fabriquer des pizzas ou des pâtisseries peu cuites, on peut choisir d’utiliser de la farine thermisée ou non. En revanche, il est impossible techniquement d’utiliser de la viande précuite pour faire des chipolatas ou des lardons fumés. «