Enquête publique de la Commission Européenne sur le projet de modification du critère Listeria pour les produits prêts à consommer : analyse Ifip … donnez votre avis !
Analyse du projet de modification du Règlement CE n°2073/2005 mis en enquête publique par la Commission Européenne le 10 Avril 2024
La Commission européenne a publié un projet de modification du critère Listeria monocytogenes défini dans la catégorie 1.2 du règlement CE n°2073/2005 relatif aux critères microbiologiques applicables aux denrées alimentaires. Cette catégorie concerne les denrées alimentaires prêtes à être consommées qui permettent le développement de Listeria monocytogenes.
La raison de la modification proposée est d’aligner le critère sur les lignes directrices du Codex Alimentarius. Dans ces lignes directrices, il existe un critère selon lequel Listeria monocytogenes ne doit pas être détecté dans 25 g pour les aliments prêts à consommer dans lesquels la croissance est possible lorsqu’ils ont été mis sur le marché.
À l’heure actuelle, le règlement CE n°2073/2005 ne fixe pas de limite pour les denrées alimentaires de catégorie 1.2 qui sont échantillonnées après qu’elles ont quitté le contrôle immédiat du producteur, lorsque qu’il ne peut pas démontrer que la limite de 100 ufc/g ne sera pas dépassée pendant toute la durée de conservation.
Quelles modifications ?
Il s’agit de remplacer ce tableau du chapitre 1 de l’annexe I :
Par cet autre tableau :
Quelles conséquences pour les charcuteries salaisons ?
Ce projet dont l’application est prévue au 1er janvier 2026 obligerait les fabricants qui font des produits dans lesquels Listeria monocytogenes peut se développer ou même survivre, à prouver que le critère de 100 ufc/g ne sera pas dépassé tout au long de la durée de vie en cas de détection, y compris dans un produit en toute fin de DLC.
Dans le cas contraire, c’est le critère Non Détecté dans 25g qui sera appliqué tout au long de la durée de vie et non pas seulement au moment de la mise en marché comme actuellement. Cela conduira donc à plus de rappels de lots contaminés à bas bruit même quand cette détection aura été révélée en fin de DLC.
Indirectement, c’est une manière de réserver le critère de 100 ufc/g à une élite de producteurs suffisamment structurés pour s’appuyer sur un service qualité voire un laboratoire d’analyse qui documenteront leurs risques par des challenges tests ou des études apportant la preuve d’une croissance limitée à 100 ufc/g sur toutes leurs productions.
Quels sont les produits les plus concernés ?
En pratique, cela concerne surtout les produits où Listeria monocytogenes peut se développer ou survivre en théorie (selon l’outil Sym’previus), mais qui en réalité ne permettent pas un bon développement de Listeria monocytogenes grâce à la compétition microbienne ou bien d’autres facteurs limitants comme la présence de conservateurs ou de flores de biopréservation. Ce sont essentiellement les salaisons sèches avec des Aw limites pour la croissance de Listeria monocytogenes qui sont concernées par cette modification du règlement.
Ce projet de modification pourrait également être problématique pour les producteurs de charcuterie crue à cuire, au moins en France, où la notion mal définie de mésusage du Guide d’Aide à la Gestion des Alertes alimentaires peut les faire considérer à tort comme des produits prêts à consommer.
Pour beaucoup de charcuteries cuites, cela ne change rien car, en général, elles ont des Aw et des pH favorables au développement de Listeria monocytogenes et c’est déjà le critère Non Détecté /25g qui est appliqué pendant toute la mise en marché du produit.
Qui sera le plus impacté ?
De notre point de vue, cette modification impactera les petits producteurs de salaisons sèches qui connaissent mal ou pas du tout les Aw et pH de leurs produits et qui rencontreront des difficultés à prouver que le critère 100/g ne sera pas dépassé en fin de vie quand une détection de Listeria monocytogenes leur sera remontée pendant la mise en marché d’un lot.
Si d’aventure, ils connaissaient ces valeurs pour une recette ou pour un lot spécifique, on leur demandera de prouver avec un nombre conséquent d’analyses que les données fournies sont bien représentatives d’une production qui souffre parfois d’hétérogénéité inhérente aux installations et dont la variabilité n’est pas toujours très bien connue.
En général ces petits producteurs n’ont jamais fait de challenge test Listeria monocytogenes sur leurs produits et sont donc incapables de démontrer que le critère de 100 ufc/g ne sera pas dépassé en fin de vie.
Pour eux, c’est le critère Non Détecté dans 25g qui s’appliquera. Cela conduira à des rappels encore plus fréquents pour de nombreux lots de saucissons secs artisanaux ou semi-industriels sur lesquels on aura détecté des contaminations résiduelles en fin de vie. Listeria monocytogenes va devenir leur problème majeur si ce n’est pas déjà le cas. Adhérer à la charte Sécurité Saucisson Sec pourra les aider à maitriser le sujet à condition qu’ils aient la taille suffisante pour en financer les contraintes : plan de surveillance minimal des appros et audit annuel obligatoires.
Quelles solutions techniques apporter ?
La solution de choix pour ces petits producteurs de salaisons sèches sera de caler leur procédé pour sécher les produits suffisamment afin d’atteindre une Aw toujours inférieure à 0,92. Il faudra également qu’ils mettent en place les contrôles libératoires sur ce paramètre pour garantir la non-croissance de Listeria monocytogenes pour chaque lot. Cela ne sera pas forcément simple et facile pour tous les producteurs.
Dans ce contexte de règlement 273/2005 modifié, il faudrait :
- étudier les relations entre perte de poids et Aw dans de nombreux contextes de recettes et de procédés artisanaux ce qui peut s’avérer très compliqué
- développer des outils collectifs de simulation de décroissance bactérienne ou de survie pour que les petits producteurs ne soient pas détruits par les rappels à répétition.
- proposer des prestations d’étude au cas par cas abordables pour tous y compris pour les petits producteurs
- mesurer l’impact de la réduction des nitrites dans les salaisons sèches sur la survie de Listeria monocytogenes dansdes procédés artisanaux ou semi industriels qui présentent une plus forte variabilité.
Comment donner son avis ?
Ce projet a reçu peu d’avis ou commentaires à la suite de l’ouverture de l’enquête publique le 10 avril dernier.
La date limite pour y participer est le 8 mai 2024 ce qui paraît relativement court pour un sujet de cette importance.
Quelques avis relevés à la date du 24 avril :
• Les Autorités sanitaires d’inspection tchèques considèrent que l’amendement proposé entraînera davantage d’obligations et de charges financières tant pour les autorités de contrôle que pour l’industrie alimentaire.
• Un inspecteur de contrôle espagnol du district de Barcelone pense que l’amendement encouragera les exploitants du secteur alimentaire à appliquer le critère de non-détection dans 25g pendant la durée de conservation, plutôt que d’investir des ressources pour démontrer que le produit ne dépassera pas la limite de 100 ufc/g pendant toute sa durée de conservation. Il ajoute que cette modification devrait s’accompagner d’un renforcement des critères d’hygiène des procédés au chapitre 2 de l’annexe I, en y insérant des critères relatifs à Listeria spp dans les environnements de production d’aliments prêts à consommer et établir les fréquences de test et les mesures à prendre en cas de résultats insatisfaisants.
• Un gros industriel italien dont on ne connaît pas le secteur d’activité fait remarquer que la manière de démontrer que les 100 cfu/g ne seront pas dépassés pendant toute la durée de vie du produit devrait être mieux définie : Combien de challenge test ? Seulement un ? La microbiologie prédictive pourra-t-elle être utilisée ? Comment et par qui les éléments de preuve seront expertisées et acceptés ? Faudra-t-il prendre en compte seulement la DLC ou une période plus longue ? Si elle est plus longue, de combien ? Il fait également remarquer que les règles d’ensemencement prévues pour le dénombrement de Listeria monocytogenes ne sont pas cohérentes avec une accréditation de type ISO 17025.